Être dans la nature ainsi qu'un arbre humain, Etendre ses désirs comme un profond feuillage, Et sentir, par la nuit paisible et par l'orage, La sève universelle affluer dans ses mains ! Vivre, avoir les rayons du soleil sur la face, Boire le sel ardent des embruns et des pleurs, Et goûter chaudement la joie et la douleur Qui font une buée humaine dans l'espace ! Sentir, dans son coeur vif, l'air, le feu et le sang Tourbillonner ainsi que le vent sur la terre ; -S'élever au réel et pencher au mystère, Être le jour qui monte et l'ombre qui descend. Comme du pourpre soir aux couleurs de cerise, Laisser du coeur vermeil couler la flamme et l'eau, Et comme l'aube claire appuyée au coteau Avoir l'âme qui rêve, au bord du monde assise... Anna de Noailles
Oui, des lèvres aussi, des lèvres savoureuses Mais d'une chair plus tendre et plus fragile encor Des rêves de chair rose à l'ombre des poils d'or Qui palpitent légers sous les mains amoureuses. Des fleurs aussi, des fleurs molles, des fleurs de nuit, Pétales délicats alourdis de rosée Qui fléchissent pliés sous la fleur épuisée Et pleurent le désir, goutte à goutte, sans bruit. O lèvres, versez-moi les divines salives La volupté du sang, la vapeur des gencives Et les frémissements enflammés du baiser. O fleurs troublantes, fleurs mystiques, fleurs divines Balancez vers mon coeur sans jamais l'apaiser L'encens mystérieux des senteurs féminines. Pierre Louys