Dieu nous gard' de vivre cent ans
Dans le bruit des vers de la prose
Si la mort m'en donne le temps
Ce sera toujours la même chose
Cent fois la turquoise et la rose
Cent fois Je t'aime et Je t'attends
Cent fois Je veille et tu reposes
 Cent fois les rimes tant connues
Cent fois la nuit cent fois le jour
Cent fois les baisers revenus
Cent mille et une fois l'amour
Le printemps vert et le plomb lourd
Soufflent les vents passent les nues
Crient les cigognes sur les tours
 Vivre ou mourir quel est plus lent
Vivre ou mourir quel est plus vite
Les mots sont si peu ressemblants
Les cieux sont devenus redites
Et ce bouquet de marguerites
Son coeur jaune et son collier blanc
Y faut-il jouer double ou quitte
 Avons nous perdu perdu la raison
Tout chemin dévie à l'amorce
Toute phrase est hors de saison
Et toute parole est sans force
Ainsi que font l'arbre et l'écorce
La fumée avec la maison
Le sens et la lèvre divorcent
   Ne riez pas des lieux communs
Qui dans mes vieilles mains se fanent
Ils sont nécessaires comme un
Refuge au coeur que tout profane
Léger celui qui les condamne
Leur préférant autre parfum
Comme le twist à la pavane
 J'ai cherché pour toi J'ai trouvé
A la fois pour vous et moi-même
Le secret de vivre et rêver
A vous comme à moi le problème
Ne se résout que par poème
Méprisez-moi si vous savez
D'autre façon dire Je t'aime
  Quand vous auriez bras de nylon
Yeux de radar et sang d'atome
Amours vous seront bruns ou blonds
Baisers seront morsure ou baume
A tout coeur sera métronome
A tout sera coeur étalon
Vous écouterez nos fantômes
 Nous étions deux nous n'étions
qu'un du moins du moins
J'ai pu le croire
Nous je dis nous dans mon vertige
et près ou loin J'aurai vécu
j'aurai passé jours blancs ou noirs
A tes genoux
Aragon
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