J'ai tant rêvé de toi

J'ai tant rêvé de toi que tu perds de ta réalité.
Est-il encore temps d'atteindre ce corps vivant
et de baiser sur cette bouche la naissance de la 
voix qui m'est chère ?
J'ai tant rêvé de toi que mes bras habitués en
étreignant ton ombre à se croiser sur ma poitrine
ne se plieraient pas au contour de ton corps, 
peut-être.
Et que, devant l'apparence réelle de ce qui me hante 
et me gouverne depuis des jours et des années, je 
deviendrais une ombre sans doute. 

Ô balances sentimentales.

J'ai tant rêvé de toi qu'il n'est plus temps 
sans doute que je m'éveille. Je dors debout, 
le corps exposé à toutes les apparences de 
la vie et de l'amour et toi, la seule qui 
compte aujourd'hui pour moi, je pourrais 
moins toucher ton front et tes lèvres
que les premières lèvres et le premier
front venu.
J'ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, 
couché avec ton fantôme qu'il ne me reste 
plus peut-être, et pourtant, 
qu'à être fantôme parmi les fantômes et 
plus ombre cent fois que l'ombre qui 
se promène et se promènera allègremment
sur le cadran solaire de ta vie. 

                          R. Desnos

Est-ce ainsi que les hommes vivent
et leurs baisers au loin les suivent
                      L. Aragon 


à suivre